quinta-feira, 26 de abril de 2012

Rousseau e os Indignados

Interessante reportagem enviada pela Dra. Vania Mercer sobe J. J. Rousseau e os Indignados.

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Le Devoir de philo - Jean-Jacques Rousseau aurait campé avec les indignés

Le philosophe genevois jugerait le salaire de Monique Leroux trop élevé

Renée Joyal   4 février 2012  Le Devoir de philo
Renée Joyal, professeure honoraire à l’UQAM.<br />
Photo : Jocelyn Riendeau Le Devoir
Renée Joyal, professeure honoraire à l’UQAM.
Deux fois par mois, Le Devoir lance à des passionnés de philosophie, d'histoire et d'histoire des idées, le défi de décrypter une question d'actualité à partir des thèses d'un penseur marquant.

Jean-Jacques Rousseau aurait-il «campé» avec les indignés de Madrid, de New York ou de Montréal? Il y a fort à parier que oui. Ces campeurs et leurs sympathisants se sont avant tout indignés des méfaits du monde de la finance et des inégalités sociales extrêmes qui empoisonnent nos sociétés, les unes n'étant d'ailleurs pas sans rapport avec les autres.

Or, si on relit Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes ou Du contrat social (Oeuvres complètes, t. 2, Paris, Seuil, 1971), publiés respectivement en 1755 et en 1762, on en déduit que Rousseau aurait fustigé avec vigueur le fossé abyssal qui sépare les plus riches (1 %) du reste de la population, et en particulier des plus pauvres.

Selon lui, tout système politique peut se réduire à deux objectifs principaux: la liberté et l'égalité, «parce que la liberté ne peut exister sans elle». Parlant d'égalité, Rousseau avait sûrement en tête les privilèges de la naissance ou du rang qui caractérisaient la France d'Ancien Régime où il a vécu la majeure partie de sa vie. Mais il pensait aussi, sans l'ombre d'un doute, aux inégalités sociales.

À propos d'égalité, précise-t-il, il ne faut pas entendre par là «que les degrés de richesse soient absolument les mêmes, mais que nul citoyen ne soit assez opulent pour en pouvoir acheter un autre, et nul assez pauvre pour être contraint de se vendre... Voulez-vous donc donner à l'État de la consistance, rapprochez les degrés extrêmes autant qu'il est possible; ne souffrez ni des gens opulents, ni des gueux. Ces deux états, naturellement inséparables, sont également funestes au bien commun...»

Bonis des courtiers de Wall Street et autres places d'affaires, salaires et autres avantages exorbitants des hauts dirigeants de banques ou de grandes entreprises franchissent allègrement les limites de la décence.

Une contradiction flagrante

Que penserait Rousseau des revenus annuels de plus de deux millions de dollars versés à Monique Leroux, présidente et chef de la direction du Mouvement Desjardins — qu'on se réjouit par ailleurs de voir occuper ce poste? Comment Mme Leroux peut-elle, d'un côté, se faire le porte-étendard du mouvement coopératif (voir Le Devoir du 13 janvier), et de l'autre, accepter un tel revenu, sans doute appelé à s'accroître avec les années?

Il y a là une contradiction flagrante, une atteinte à l'esprit même du mouvement qu'elle prétend défendre. On fera valoir que les hauts dirigeants des grandes banques touchent des revenus encore plus élevés. Mais justement, ils sont scandaleux, ces revenus, et ils ne trouveraient certainement pas grâce aux yeux de Rousseau.

Faut-il qu'un mouvement coopératif s'inspire de critères de rémunération aussi douteux? Tous ces abus nourrissent l'indignation bien légitime du «monde ordinaire».

C'est d'abord aux gouvernements et aux instances internationales de régulation économique et financière que les indignés adressent leur message.

Rousseau, qui vit à une époque où les relations internationales, si elles existent, sont beaucoup moins intenses que de nos jours, compte essentiellement sur le corps politique (objet du contrat social) de chaque pays, et en particulier sur le législateur, pour instituer des lois justes. Cela suppose, selon lui, que le législateur soit totalement désintéressé et qu'il ne se laisse guider que par la recherche du bien commun.

«Quand Lycurgue donna des lois à sa patrie (Sparte), il commença par abdiquer la royauté», rappelle-t-il. Il cite encore le cas de plusieurs cités grecques de l'Antiquité et de quelques républiques romaines de l'ère moderne, ainsi que de la Rébublique de Genève où il est né. Soucieuses d'adopter des lois orientées vers le bien commun, ces entités avaient coutume d'en confier la rédaction à des étrangers, bien au fait par ailleurs des réalités de chacune d'elles.

Qu'en est-il de nos législateurs actuels? Selon les indignés, il sont souvent manipulés par les puissances d'argent ou carrément à leur solde. Sous couvert de réalisme ou de pragmatisme, des lois favorables aux intérêts des plus riches ou des plus puissants (en matière fiscale, par exemple) sont maintenues.

Pire, on n'adopte pas de lois susceptibles de rétablir un certain équilibre (en matière de chômage ou de sécurité du revenu, notamment), ou celles-ci sont trop timides. Comment expliquer, par exemple, que les pays riches aient tant de difficulté à s'entendre pour imposer une taxe sur les transactions financières ou une mesure analogue?

Selon Jean-Jacques Rousseau, «rien n'est plus dangereux que l'influence des intérêts privés dans les affaires publiques». Et plus ces intérêts sont puissants, plus ils ont de chances d'influencer les nominations et les élections, et plus les élus seront tentés de donner suite à leurs volontés.

Rousseau pose que tous les régimes politiques (monarchie, aristocratie, démocratie) exigent, pour atteindre leurs fins, la pratique par les élus et les magistrats des vertus civiques — désintéressement, intégrité, recherche du bien commun — , mais il est d'avis que la démocratie est le plus exigeant à cet égard; c'est pourtant le régime qui lui semble le meilleur. Or, nos indignés n'ont de cesse de réclamer un assainissement de nos moeurs politiques, trop souvent dévoyées par la corruption, l'ignorance ou la veulerie.

Les indignés s'adressent aussi à l'ensemble des citoyens, appelant chacun et chacune à mieux s'informer et à joindre le mouvement. Comment un corps politique peut-il résister à une masse de citoyens éclairés et politiquement engagés?

Dans son récent discours sur l'état de l'Union, le président Obama a clairement exprimé ses intentions de promouvoir l'adoption de lois susceptibles de faire payer aux riches leur juste part — 30 % d'impôts sur des revenus dépassant le million sont-ils suffisants?— des recettes de l'État et d'assurer ainsi un partage plus équitable des richesses.

Bien que, dès l'origine, son programme ait préconisé plus de justice sociale dans un pays qui en a grandement besoin, on peut voir dans la fermeté de ce discours une réponse aux protestations et aux demandes des indignés.

Rousseau se réjouirait certes de cette ardeur citoyenne, car, écrit-il, «sitôt que quelqu'un dit des affaires de l'État "Que m'importe?", on doit compter que l'État est perdu». Pour que les citoyens influencent l'État, il ne faut pas, à son avis, se contenter d'élections périodiques, il faut encore leur garantir la liberté d'expression et leur donner l'assurance que leurs opinions seront prises en considération par le corps politique.

L'État se doit d'être attentif aux citoyens, et ceux-ci doivent demeurer bien informés et vigilants. Jean-Jacques Rousseau cite en exemple le cas de son père, horloger de métier, citoyen de la République de Genève. «Je le vois encore, vivant du travail de ses mains, et nourrissant son âme des vérités les plus sublimes. Je vois Tacite, Plutarque et Grotius, mêlés devant lui avec les instruments de son métier...

«Mon père, je l'avoue avec joie, n'était point distingué parmi ses concitoyens: il n'était que ce qu'ils sont tous; et, tel qu'il était, il n'y a point de pays où sa société n'eût été recherchée, cultivée, et même avec fruit, par les plus honnêtes gens. Il ne m'appartient pas, et, grâce au ciel, il n'est pas nécessaire de vous parler des égards que peuvent attendre de vous des hommes de cette trempe, vos égaux par l'éducation ainsi que par les droits de la nature et de la naissance.»

L'apathie à l'égard de la chose publique

Rousseau aurait certes déploré la relative apathie de plusieurs citoyens à l'égard de la chose publique, dont témoignent entre autres les faibles taux de participation aux élections. Si certains groupes d'intérêts expriment avec vigueur leurs revendications sur la place publique, relativement rares sont les manifestations représentatives de l'ensemble des citoyens.

Le mouvement des indignés constitue à cet égard une heureuse exception. Si Rousseau avait prévu la multiplicité des intérêts et des partis, il ne pouvait sans doute pas prévoir à son époque l'ampleur que prendrait le phénomène, couplé à celui de l'individualisme effréné qui marque aujourd'hui nos sociétés. Toutes choses qui contribuent à miner la recherche constante du bien commun, tant par les citoyens que par le corps politique.

Un siècle plus tard, après avoir observé la société américaine, Alexis de Tocqueville avait signalé cette hyperconsommation — alimentée de nos jours par l'apparition incessante de nouveaux gadgets — comme l'une des dérives possibles de la démocratie — l'autre étant le totalitarisme. «Je vois, écrit-il dans La démocratie en Amérique, une foule innombrable d'hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme...»

Rousseau aurait très certainement espéré que le mouvement des indignés persiste, trouve un nouvel élan, de nouveaux modes d'expression, et qu'un nombre croissant de citoyens y participe activement. Amorcé à la suite du printemps arabe, ce mouvement n'est pas sans lien avec celui-ci.

L'idéal ou l'indifférence?

Si Tunisiens, Égyptiens, Lybiens... sont descendus dans la rue, à leurs risques et périls, d'abord pour réclamer la fin de régimes tyranniques, ils avaient aussi en vue une plus grande justice sociale qui ne pouvait advenir sous la férule de gouvernements violents et corrompus.

Les indignés de l'Occident, eux, se battent, à moindre risque, pour la fin de la dictature du monde de la finance, qui, elle aussi, fait obstacle à une meilleure répartition des richesses.

Il est vrai que Rousseau, dont on célèbre cette année le 300e anniversaire de naissance, vivait dans un monde bien différent du nôtre et qu'il avait, de son propre aveu, une vision idéaliste des citoyens et du corps politique. Mais n'est-il pas préférable de tendre vers cet idéal plutôt que de laisser l'indifférence et la cupidité envahir toutes les sphères de nos sociétés? Laissons-lui le mot de la fin: «Un peu d'agitation donne du ressort aux âmes, et ce qui fait vraiment prospérer l'espèce est moins la paix que la liberté.»

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Des suggestions, des commentaires? Écrivez à Antoine Robitaille:arobitaille@ledevoir.com. Pour lire ou relire les anciens textes du Devoir de philo ou du Devoir d'histoire:www.ledevoir.com/societe/le-devoir-de-philo.

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Renée Joyal - Juriste de formation, professeure honoraire à l'UQAM, l'auteure a dirigé George Sand toujours présente (PUQ, 2011).

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